Anne Navez, Présidente de Votre-Administrateur répond, sans tabous ni langue de bois, à plusieurs des questions qui animent aujourd’hui les débats sur la gouvernance d’entreprise et le rôle de l’administrateur indépendant.
1) Est-ce que le fait d’exercer un mandat est une activité qui occupe beaucoup de temps ?
Oui, un bon administrateur doit investir de son temps. Pour bien comprendre l’évolution de la gouvernance dans nos sociétés et son impact sur la fonction d’administrateur, rappelons brièvement l’évolution du contexte mondial des 15 dernières années. L’évolution du contexte économique, sa globalisation autant que son durcissement, la complexité croissante des marchés, et notamment des marchés financiers, ont considérablement augmenté le poids des décisions.
Des décisions qui doivent désormais se prendre vite, voire dans l’urgence, en privilégiant inévitablement (et malheureusement) les enjeux plus court -terme au long terme. Cette évolution s’est aussi accompagnée d’une montée du niveau des risques associée aux décisions et nécessite d’avoir une gouvernance solide et robuste pour y faire face sereinement.
Dans le même temps, l’évolution de la règlementation et des contraintes liées notamment aux scandales survenus ces dernières années (Enron, WorldCom, Parmalat, Madoff… ), a remis en cause les modèles de gouvernance existants dans les entreprises, contribuant à complexifier la fonction d’administrateur, plus encadrée et contrôlée. La fonction d’administrateur ne peut plus être une fonction de complaisance mais requiert de la part de l’administrateur, une vraie légitimité dans l’action.
Cette légitimité passe par des compétences – savoir-faire, aptitudes, et un comportement exemplaire qui commence par du temps passé à consacrer à sa fonction (prendre le temps de comprendre l’entreprise et ses enjeux, assister à tous les conseils, étudier au préalable les dossiers en cours, se former sur les nouveaux sujets… ).
Sans être totalement catégorique, il est courant de dire qu’il faut compter au minimum 10 jours de travail par an pour un mandat d’administrateur classique. Ce nombre de jours pourra toutefois être plus élevé dans le cas d’une présence dans un comité spécialisé ou dans un contexte dynamique d’entreprise (développement à l’international, rachat… ).
2) Que pensez-vous des administrateurs dits de « complaisance » ?
S’il est normal de s’en offusquer et de le regretter, et c’est encore malheureusement une pratique courante, il faut toutefois garder en mémoire que la fonction d’administrateur n’est pas professionnalisée et que les avancées en la matière – choix des administrateurs selon leurs compétences et expérience-formations spécialisées, certifiantes, bonnes pratiques –sont très récentes. Il est donc à espérer que cette pratique ait fait son temps et qu’il soit désormais possible de faire appel de façon simple et confiante à des administrateurs qualifiés, disponibles et impliqués pour exercer leur rôle avec bienveillance mais sans complaisance.
C’est tout l’objet de la mission que s’est fixé Votre-Administrateur.
3) Que répondez-vous à ceux qui disent que la gouvernance est un sujet qui ne concerne véritablement que les grands groupes ?
Je réponds non seulement que c’est totalement faux, mais j’invite toutes les autres organisations (petites entreprises, fondations, associations) à se porter sur le sujet de leur gouvernance. A titre d’exemple, pour une entreprise qui débute, la mise en place d’un conseil peut apparaître hors sujet ou largement anticipé, ça ne l’est pas, bien au contraire. Une entreprise qui débute doit être capable de se développer rapidement pour s’assurer d’exister encore dans les mois et les années suivant sa création. Un conseil est parfaitement dans son rôle pour accompagner les décisions du dirigeant et lui permettre de faire challenger et contrôler sa stratégie. Ce qui est hors sujet c’est de penser qu’un administrateur coute cher.
Pour finir, j’illustrerais mon propos en m’appuyant sur le rapport du Medef qui dès juin 2003 considérait la gouvernance d’entreprise comme porteuse d’une valeur ajoutée propre et que les PME étaient bien concernées.
4) Pensez-vous que l’instauration d’un conseil au sein d’une entreprise entraîne une perte de pouvoir pour ses dirigeants ?
Si je ne le pense pas, je sais bien, en revanche, qu’il s’agit de l’un des freins les plus importants qui prive les entreprises de la mise en place de conseils et donc d’une gouvernance performante. Encore une fois, le conseil et les administrateurs qui le composent ne sont pas là pour dicter la conduite du dirigeant ; ils sont là pour apporter leur regard d’expert, leur expérience de situations vécues et leur recul afin d’accompagner le dirigeant dans ses projets d’avenir pour l’entreprise. Comme dit le proverbe : « un homme averti en vaut deux » !
5) On parle beaucoup de consanguinité au sein des conseils, pensez-vous qu’il s’agisse d’une fatalité ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une fatalité. Toutefois, et cela rejoint la question sur la complaisance, je pense que plus la « professionnalisation » de la fonction d’administrateur va devenir une réalité, plus le marché de la gouvernance va s’organiser, plus ces pratiques tendront à diminuer pour finir par disparaître.
6) Quelles sont les principales qualités requises pour être un administrateur indépendant ? La compétence est-elle le seul impératif ?
Rien ne remplace la compétence pour exercer le rôle d’administrateur. Pour autant, la compétence seule n’est pas suffisante. Il y a dans cette fonction autant d’exigence liée au savoir-faire qu’au savoir-être.
En savoir plus… .
7) Peut-on être un administrateur si l’on n’a pas encore de cheveux gris ?
Si la question posée est de savoir s’il faut nécessairement être un homme d’âge mûr pour être administrateur, la réponse est évidemment non.
Au sein de Votre-Administrateur nous prônons la diversité des parcours et la mixité pour plus de richesse au sein des conseils ; toutefois, si l’on veut bien voir derrière l’expression « cheveux gris » le témoignage d’une riche et longue expérience, alors je nuancerai ma réponse. Je l’ai déjà dit, un administrateur est une personne, homme ou femme, d’expérience.
8) Que pouvez-vous nous dire au sujet du cumul des mandats ?
Exercer un mandat d’administrateur requiert une disponibilité réelle et une implication qui peut être importante selon les entreprises et les contextes adressés, il est donc logique que le cumul des mandats soit réglementé.
La loi autorise jusqu’à 5 mandats externes cumulés, le code AFEP-MEDEF préconise un maximum de 5 mandats, le code MiddleNext, 4 et L’IFA, 3 mandats dans les sociétés cotées. En savoir plus…
Là encore, la règlementation ne vise qu’une partie des entreprises, car elle ne concerne que les sociétés anonymes ayant leur siège social sur le territoire français et les mandats intra-groupes ne sont pas comptabilisés.
Interrogeons nous sur la prestation effective d’un administrateur ayant une occupation professionnelle et siégeant par exemple à 3 conseils de sociétés cotées françaises, à 2 établis à l’étranger, dans 5 filiales du groupe et dans 4 entreprises non cotées… Faites le compte…
Le sujet du cumul des mandats est un sujet qui doit évoluer et qui devra malheureusement passer par une règlementation si les acteurs ne savent pas s’autoréguler.
9) Quelle est la responsabilité engagée par un administrateur ?
Etre administrateur est une responsabilité importante. L’administrateur est responsable individuellement et solidairement vis à vis des tiers et de l’entreprise.
Sa responsabilité civile peut être engagée, s’il a commis une faute ayant entraîné un préjudice.
Sa responsabilité pénale peut aussi être engagée en cas d’infractions graves comme le délit d’initié, la publication de comptes ne reflétant pas une image fidèle et ayant pour intention de dissimuler la réalité, la mauvaise foi responsable d’actions contraires à l’intérêt de l’entreprise.
10) Qu’apporte selon vous la loi Copé Zimmermann ?
Il est dommage de parler des femmes avant de parler de la compétence des individus ; la parité est un vaste débat. Ceci étant, pour moi, la loi Zimmermmann Copé existe car les entreprises n’ont pas su promouvoir les femmes à des postes d’administrateurs. Je vois cette loi comme un booster pour accélérer le processus de mixité dans les conseils et je l’espère aussi dans les instances de direction. L’espoir est que les entreprises d’elles-mêmes dépassent ces quotas imposés en réalisant que la mixité est source de richesse pour l’entreprise.
À noter, que cette loi ne concerne pas toutes les entreprises. Des entreprises conscientes de l’enjeu et de l’apport de la diversité pour leur entreprise, diversifient leur conseil en y intégrant des femmes au parcours national, international. C’est une vraie valeur ajoutée pour l’entreprise et une des valeurs ajoutées de Votre-Administrateur que de proposer aux entreprises des candidates de valeur.
11) Quelle est la rémunération d’un administrateur ?
Un administrateur ne perçoit pas de salaire, mais peut percevoir des jetons de présence.
La fourchette est assez large selon que l’on regarde les entreprises du CAC 40 ou une petite entreprise (de 0 à 80K€) .
Ce qui paraît anormal est à mon sens de ne pas verser un minimum de jetons de présence aux administrateurs car leur travail et implication sont réels et de surcroît, ils sont responsables.
12) Un administrateur doit-il être couvert par une assurance
Oui, un administrateur doit avoir une couverture civile et pénale. Je recommande à tous les administrateurs de vérifier que l’entreprise est assurée. Si elle ne l’est pas, l’administrateur peut en souscrire une à titre personnel.