Histoire de la gouvernance d’entreprise familiale

Le fondateur d’une société, fut elle industrielle ou commerciale, exprime sa conviction, sa vision personnelle, son dessein quand il lance « son » projet et crée « son » entreprise. Au service de la cause que son créateur lui a assignée, il est naturel que l’entreprise débutante soit façonnée et organisée à l’image et à l’aune de son auteur. Les grands exemples industriels ne manquent pas, de Louis Renault ou Armand Peugeot à Bill Gates ou Steve Jobs.

Phase 1 : Le projet du fondateur

Nous sommes alors dans le projet du fondateur. Une forte volonté d’indépendance lui est souvent associée car la création d’une marque, son développement, son rayonnement et sa prospérité sont liées à la présence dans la durée du fondateur, puis de sa famille avec ses valeurs et sa faculté de soutenir un projet dans le long terme. Les dynasties industrielles (Wendel, Hermès) sont presque toutes fondées sur cette approche farouchement familiale.

Phase 2 : Du fondateur à ses héritiers directs

Le premier passage de génération, du fondateur à ses enfants le plus souvent, crée l’entreprise « familiale » et rend tangible le projet qui associe la famille dans la durée au développement de l’entreprise. Ainsi, quand le fondateur décide de passer la main en termes de management (si toutefois il consent à le faire réellement…) ou quand le patrimoine que représente cette entreprise est transmis à ses héritiers, l’entreprise et la famille doivent s’organiser et se structurer pour prendre en compte le fait que c’est maintenant toute une fratrie qui contrôle l’entreprise familiale et garantit l’indépendance de son projet.

Le pouvoir de direction est alors dévolu à l’un des enfants, le plus souvent du fait d’une décision du fondateur lui-même; le patrimoine que représente l’entreprise et qui peut constituer une part significative du patrimoine global du fondateur, est également réparti entre ses héritiers. L’intelligence de cette double répartition du pouvoir et du patrimoine est essentielle pour préserver les droits de chacun et protéger l’entreprise d’éventuelles tensions, trop souvent promptes à se déclarer.

La complexification de l’entreprise familiale et des relations professionnelles entre les membres de la famille a donc commencé ; elle se traduit par des rapports de pouvoir à établir et à faire vivre entre les membres de la fratrie; aussi par des enjeux de communication entre celui (ceux) qui travaillent dans l’entreprise familiale et y détiennent le pouvoir et ceux (celles) qui ne sont que détenteurs du capital sans autre voix que celle de l’actionnaire.

Phase 3 : Arrivée de la 3ème géneration

Le développement de l’activité tout en maintenant l’affectio societatis et la satisfaction des attentes des actionnaires de la fratrie conduit naturellement le projet (s’il n’est pas trop consommateur de fonds propres) à la génération suivante, celle d’une entreprise contrôlée par des cousins : le pouvoir n’est plus dévolu au membre le plus adapté de la fratrie, il est confié au(x) plus compétent(s) des cousins. L’on voit tout de suite que le succès de l’entreprise est étroitement corrélé à la qualité de ce choix, d’où l’importance d’un processus de sélection transparent et rigoureux. Ainsi sont évitées les frustrations de ceux ou celles qui n’ont pas été sélectionnés au terme de ce processus destiné à pourvoir la direction de l’entreprise.

L’expérience montre également que la problématique de la liquidité ne peut plus être ignorée à ce stade, quelle que soit la manière dont il y est répondu. En effet, malgré la cohésion familiale, les projets personnels de ceux qui ne sont plus intéressés que capitalistiquement au destin de l’entreprise familiale, la pression fiscale exercée sur les actionnaires non dirigeants ou simplement le désir de liberté demandent à ce que des fenêtres de liquidité soient organisées; soit en interne à la famille si les capacités financières des uns suffisent à satisfaire les besoins des autres; soit en faisant rentrer un partenaire extérieur si les besoins de liquidité apparaissent trop importants. Cette étape est cruciale et doit être préparée avec soin pour éviter qu’elle ne vienne atteindre à terme, l’indépendance du projet familial.

Cette alchimie savante permet aux entreprises familiales d’être pérennes: le sens de la famille, la gestion « dans la durée », la vision de long terme, tous ces éléments participent à la perpétuation de la dimension familiale d’une génération à l’autre.

Phase 4 : La charte de famille

Cependant, le nombre et la dispersion croissante des actionnaires demandent qu’une organisation de la famille soit mise en place parallèlement et distinctement de l’organisation de l’entreprise : il s’agit d’une réflexion à structurer sur la manière de régler les rapports professionnels à mettre en place entre la famille et l’entreprise. L’établissement d’une charte familiale (ou charte de famille) élaborée et discutée par les membres de la famille eux mêmes constitue un élément important pour préserver l’entreprise en maintenant l’unité de la famille et l’équité en son sein. Les outils et techniques existent, ils sont mis en œuvre en fonction des besoins concrets exprimés par les actionnaires de chaque entreprise familiale : conseil de famille, « advisory board », « family board », etc.

Phase 5 : Arrivée de l’administrateur indépendant

La gouvernance de l’entreprise familiale est la garante et la protection du succès du projet familial. L’apport de compétences externes au sein du conseil, par exemple au travers de la nomination d’administrateurs indépendants, est le signe d’une professionnalisation devenue nécessaire avec l’éclatement du capital. Ces administrateurs, soigneusement sélectionnés, enrichissent les débats et en rendent leur contenu plus exigeant, plus transparent, moins convenu ; leur vigilance et leur capacité de persuasion permettent en outre de mieux mettre en exergue et circonscrire les conflits d’intérêt. Voilà une belle vocation d’administrateur indépendant !

Arnould d’Hautefeuille, Président ABDHconseil
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